- Philippe CRONIER

                                                                                           Les Blogs de Dany

Publié le  8/5/2006 à 17:49


Entretien avec Philippe CRONIER










                 
 Philippe  Cronier       






                                                                           
Dany -Bonjour Philippe Cronier (pseudo Phicro sur BBO) et merci de m’accorder cet entretien.
Vous êtes un des meilleurs joueurs français, vous faites partie de l’équipe de France Open, vous avez un rôle auprès de la Fédération Européenne de Bridge, vous êtes Responsable de l'enseignement et de l'unité de recherche auprès de l’Université du Bridge et vous avez de nombreuses activités liées au Bridge.
Est-il indiscret de vous demander votre âge et votre lieu de naissance ?


P. C. - J’aurai bientôt 53 ans, je suis né à Ermont, une ville de la banlieue parisienne, dans le Val d’Oise précisément.


Dany - Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

P. C. - Rien de très original ! J’ai fait des études d’ingénieur statisticien, j’ai commencé à travailler à l’INSEE, et je me suis vite arrêté pour jouer au bridge à temps plein. J’ai rencontré ma femme Bénédicte au tournoi de La Baule, elle n’avait pas 18 ans. Quand notre premier enfant est né, il a fallu transformer ce qui n’était jusque là qu’une passion en moyen de gagner de l’argent… J’ai commencé à donner quelques cours et à jouer sponsorisé. J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont beaucoup aidé à ce moment là, particulièrement Michel Zadouroff, qui m’a offert de m’occuper du bridge au club Omar Sharif, et Gilles Cohen, qui m’a fait travailler avec lui à la fédération. J’ai commencé alors à écrire – polys, articles et même un livre ! Avec Gilles, nous avons créé les premiers stages de bridge dans le cadre de l’Université du Bridge. Puis, avec quelques amis (Michel Bessis, Nicolas Déchelette, Alain Lévy et Philippe Poizat) nous avons créé les stages Top Bridge aux Arcs, en 1984. Vingt-deux ans plus tard, ils existent toujours !
Un autre tournant important de ma vie professionnelle s’est produit quand Gilles Cohen – encore lui – a créé un journal de jeux (Jouer atout) en 1992. Ce journal possédait divers satellites, dont un consacré au bridge, Jouer Bridge. J’en ai assumé la rédaction en chef. Jouer atout s’est arrêté rapidement, mais les principaux rédacteurs de Jouer Bridge se sont associés pour reprendre le titre. Malgré quelques avatars liés à la vie tumultueuse d’un journal, Jouer Bridge paraît toujours, et j’en suis toujours le rédac’chef.
Parallèlement à ma profession de professeur et journaliste de bridge, j’ai toujours pratiqué le bridge de compétition. Mon voyage à Varsovie au mois d’août prochain constituera ma cinquième apparition en équipe de France Open. La première date de 1983 et constitue mon meilleur souvenir, puisque avec Michel Corn, et associés à Lebel-Perron et Mouiel-Swarc, nous avons remporté le championnat d’Europe par quatre à Wiesbaden. Une performance que malheureusement aucune équipe française n’a été capable de rééditer depuis. Au cours de ma (longue !) carrière, j’ai joué avec la plupart des meilleurs joueurs français. Entre autres Michel Lebel, Philippe Soulet, Nicolas Déchelette et, last but not least, Paul Chemla. Je dois avouer que je leur dois beaucoup, ayant toujours eu la chance de jouer avec des gens que je pensais plus forts que moi !


Dany - Quand et comment avez-vous débuté au Bridge ?

P. C. - J’ai découvert le bridge chez mes grands-parents, qui jouaient avec des amis chaque samedi. Dès l’âge de dix ans, j’ai commencé à regarder. Un an plus tard, le quatrième prévu s’est décommandé au dernier moment et, devant le désarroi général, j’ai proposé mes services… J’ai continué à jouer de temps en temps pendant mon adolescence, jusqu’à ce que je rencontre des bridgeurs bien plus avertis que moi en Maths Sup. Parmi eux, il y avait Michel Bessis ! Ce sont eux qui m’ont initié à la vie des clubs et au bridge de compétition.

Dany - Le Bridge a--il, dès le début, été une grande passion et pensiez-vous atteindre ce niveau ?

P. C. - Je vais répondre d’abord à la deuxième question. Personne, sauf mégalomanie galopante ou inconscience caractérisée (j’ai des noms…) ne peut sérieusement imaginer de devenir un champion dans une discipline où il débute. Pour les joueurs de ma génération, qui sont nombreux à avoir été formés dans les grands clubs parisiens (Montaigne, Albarran, BCP) cette prétention était d’autant plus périlleuse que nous côtoyions quotidiennement d’authentiques champions et que ceux-ci ne manquaient pas de nous montrer tout le chemin qui nous restait à accomplir. Une anecdote pour illustrer ce dernier point : alors que nous n’avions qu’un an de licence fédérale, Michel Bessis avait déjà découvert le chemin du BCP et me propose d’aller y faire un tour. Je l’écoute et me retrouve quelque temps plus tard à la porte du 68, boulevard de Courcelles, un splendide appartement en face du parc Monceau. Un homme est assis dans le couloir – j’apprendrai plus tard qu’il s’agit de Dominique Poubeau. Il m’interpelle : « vous désirez ? » « On m’a dit que vous organisiez des duplicates… » »Vous êtes quel classement ? » « Je suis 3ème série Pique, mais… » « Ah ! Eh bien, revenez nous voir quand vous serez première série ! ».

Je ne peux pas dire que le bridge m’ait d’entrée de jeu passionné. Gamin, j’aimais bien jouer à tous les jeux de cartes, le bridge m’est apparu comme un défi intellectuel, en peu comme les maths qui représentaient à l’époque l’essentiel de mon activité. C’est ensuite que j’en suis venu à ne plus penser qu’au bridge, d’abord parce que j’y ai trouvé ou retrouvé des gens très sympathiques – dont, à l’époque, beaucoup, vraiment beaucoup de gens de mon âge – ensuite parce que j’ai vraiment été pris de passion pour la compétition. Toujours au BCP, qui entre temps était devenu ma maison ( ! ) la dite compétition était quotidienne : les duplicates étaient organisés avec deux capitaines qui choisissaient, sur la liste des inscrits, les joueurs qui allaient composer leur équipe. Si vous aviez fait un coup de 13 la veille, vous trembliez de ne pas être choisi et de faire tapisserie ! Une très dure école, mais très formatrice.






Dany - Quelle profession envisagiez-vous d’exercer ?

P. C. - Comme je vous l’ai dit plus haut, j’ai travaillé comme statisticien à l’INSEE, qui dépend du Ministère des Finances, pendant près de trois ans. Je m’occupais d’une enquête sur les salaires dans les entreprises et, ma foi, c’était assez intéressant.

Dany -Votre vie a –t-elle, finalement, été consacrée au Bridge ?

P. C. - Paradoxalement, je suis un dilettante. Alors, oui, j’ai consacré énormément de temps au bridge, sous tous ses aspects, mais j’ai toujours gardé un intérêt pour de nombreux autres domaines. La politique et l’économie, le piano, la lecture… Depuis deux ans, je joue aussi beaucoup au poker sur Internet. Sans compter que s’il l’avait fallu, j’aurais sans hésiter abandonner le bridge pour ma famille.

Dany -Qu'est ce qui « fait » un Champion ? Quelles sont les qualités nécessaires : ambition, travail, don ? Ces 3 qualités indispensables, comment sont-elles réparties chez vous ?

P. C. - Voilà une question bien difficile ! J’aurais une approche un peu différente. Ce qui fait un champion, c’est l’expérience et le mental : opiniâtreté, résistance à la souffrance, confiance. C’est dur, un championnat ! Devenir un bon joueur, ce qui n’est pas la même chose, demande bien sûr un peu de talent et beaucoup de travail. Pour ma part, travailler le bridge ne m’a jamais coûté, que ce soit seul, en lisant ou en réfléchissant, ou avec mes partenaires. Quant à l’ambition, c’est, là encore paradoxalement, la « qualité » dont je me sens le moins pourvu. Les résultats, les titres, arrivent un peu tout seuls, quand on est là le bon jour. Comme le dit Joe Silver, un champion canadien, à force de toujours jouer les championnats du monde, on finit par en gagner un !

Dany - Quelle (s) forme (s) de travail, d'entraînement, privilégiez-vous ? Votre méthode préférée ? La plus efficace ?
Lecture d'ouvrages spécialisés, discussions avec des spécialistes, jeu à la table avec de grands joueurs ?


P. C. - J’ai sur cette question une idée très claire. Quoiqu’on en pense, le bridge n’est PAS une discipline théorique, mais une activité qui se joue autour d’une table (ou sur Internet) avec d’autres joueurs. On ne s’entraîne efficacement qu’en jouant avec son partenaire des donnes et encore des donnes. Un exemple récent : nous avons joué, Paul Chemla et moi, le match d’entraînement contre la Pologne il y a quelques jours (voici d’ailleurs qui constitue un excellent entraînement). En flanc, je possédais 10 9 8 3 dans une couleur ou mon partenaire a entamé de l’As. Pour montrer mon compte, j’ai fourni le 9, une carte que j’ai toujours fournie avec tous mes partenaires. Eh bien, Paul n’a pas compris parce que lui fournit le 10 dans cette situation. Nous jouons ensemble depuis plus de quatre ans, nous avons discuté de milliards de choses, et sans doute aussi de celle-ci, mais le fait d’avoir rencontré la situation à la table nous a permis enfin de nous mettre d’accord. Notez bien que pour être efficace, le jeu doit d’accompagner d’une discussion en commun sur les problèmes rencontrés. Sinon, on ne fait pas de progrès.

Dany - Quels conseils donneriez-vous aux joueurs débutants qui ont la volonté, sinon de devenir Champion de Monde, mais pour le moins d'acquérir un bon niveau ?

P. C. - Progresser ne se conçoit pour moi, vous l’avez compris, qu’en jouant, avec les meilleurs joueurs possibles et surtout contre les meilleurs joueurs possibles. C’est la raison pour laquelle les grands clubs parisiens dont je parlais plus haut ont été des creusets incomparables.
Pour autant, jouer ne suffit pas. Il faut posséder un bagage technique de base suffisant, qu’on trouve dans les livres ou auprès des bons joueurs, ou des bons professeurs. A cet égard, il n’est pas indispensable de prendre des cours pour bien apprendre à jouer au bridge. Mais les cours font gagner du temps ! Pour ce qui concerne les livres, un aspirant un peu sérieux ne peut pas se contenter de la littérature de bridge française. Il faut lire en anglais, surtout (mais pas seulement) pour le jeu de la carte. Rassurez les anglophobes, l’anglais du bridge est très facile à comprendre…
Un dernier mot, plus original. Pour faire des progrès au bridge, il faut y réfléchir. Se poser, à soi, des questions sur ce qu’on a bien ou mal fait. Se faire une idée personnelle du jeu. Les autres peuvent vous y aider, mais à la fin c’est vous qui, la prochaine fois, à la table, devrez prendre une décision. Et là, personne ne sera là pour vous souffler.


Dany - On dit que le 2sa fitté et 3 sa fitté vont bientôt être incorporés au SEF.
Pouvez-vous nous en dire plus sur leur développement ?
Quel est ou quels sont les avantages de ces nouvelles conventions ?


P. C. -Une nouvelle édition du SEF va effectivement paraître fin juin. Il y a beaucoup de petites modifications (la dernière mouture date de 1995) parmi lesquelles l’introduction du 2SA fitté.
La Commission Nationale Pédagogique, qui décide du contenu du S.E.F., s’est arrêtée sur une définition très simple : on utilise l’enchère de 2SA chaque fois qu’on a de quoi faire une proposition de manche dans la majeure d’ouverture du partenaire, avec exactement trois atouts. On a le droit de posséder quatre cartes (peut-être même cinq) dans l’autre majeure. Les développements sont très simples, eux aussi : le retour au palier de 3 dans la couleur d’ouverture est un arrêt, le saut au palier de 4 une conclusion, 3SA une proposition de contrat. Toutes les autres enchères sont des enchères naturelles de chelem.
La véritable conséquence de l’emploi du 2SA fitté est à chercher du côté des enchères forcing ou non forcing au deuxième tour. Une fois réglé le problème des mains limites, on peut utiliser toutes les enchères de soutien à saut au deuxième tour pour indiquer des ambitions de chelem. Par exemple :

Sud Nord
1 1
2 3

Devient forcing.

De la même façon, les soutiens différés après 2 sur 1, même sans saut, sont également forcing et porteurs d’espoirs de chelem :

Sud Nord
1 2
2 3

Forcing
C’est la simplification dans les séquences de chelem induite par la convention qui en constitue le principal avantage. A porter aussi à son crédit le fait que la déclaration de la manche est souvent plus rapide et donne donc moins d’indications à l’adversaire. Les inconvénients existent, malheureusement. Perdre l’enchère de 2SA naturelle oblige à des circonvolutions pour déclarer 3SA, on reperd ici ce qu’on a gagné là. De plus, on perd souvent un tour d’enchères utile dans la description de la main de l’ouvreur pour le chelem. Comparez ces deux séquences :

1 - 2 - 2 - 3 et
1 - 2 - 2 - 2 - 2 sa - 3

Dans la deuxième séquence, Nord, avant d’exprimer son fit à Cœur de façon impérative, a appris que son partenaire possédait une main régulière de la zone faible, avec l’arrêt à Carreau et sans trois cartes à Trèfle commandées par un honneur. Dans la première, il n’a rien appris puisque c’est l’ouvreur qui doit juger ses cartes pour le chelem.
La décision de la Commission Nationale Pédagogique a en fait plus obéi à des arguments de nature plus statistique que technique. Aujourd’hui, le 2SA fitté est pratiqué dans la majorité des clubs français et par la majorité des joueurs. Il est donc raisonnable de le faire figurer dans le système français !

L’adoption du 3SA fitté, pour indiquer une enchère équivalant à un soutien à la manche dans une main sans singleton comportant au moins quatre atouts, n’est pas encore vraiment décidée. Cette convention a en effet pour corollaire l’emploi des Splinters et du soutien au palier de 4 considéré comme un barrage. Si cette façon de faire est universellement répandue chez les bons joueurs, elle risque d’être un peu difficile à maîtriser par des joueurs moins chevronnés.


Dany -Quel (s) autre (s) changement (s) important(s) y aura-t-il dans la nouvelle édition du SEF ?

P. C. - Un changement important : désormais, tous les changements de couleur en réponse à une intervention sont forcing. On se met ainsi en conformité avec la pratique majoritaire des champions et, plus important, avec ce que les débutants ont appris dans le Bridge Français.
Par ailleurs, une version d’un « Roudi simplifié » est à l’étude, mais il n’est pas certain que nous parvenions à quelque chose de vraiment satisfaisant.
En revanche, une innovation intéressante est la publication d’une feuille de convention préremplie – et relativement détaillée - en S.E.F. Cet outil devrait permettre à deux partenaires occasionnels dans un club de savoir ce qu’ils jouent en quelques secondes.


Dany - Pouvez-vous me dire comment s’est fait le choix de la 3e paire pour l’équipe open ?
P.C. -Je ne suis pas certain d’en avoir le droit, la charte de l’équipe de France m’imposant un devoir de réserve (lol). En fait, c’est assez simple : nous pouvions choisir une paire parmi celles qui avaient disputé les phases finales. Après discussion, nous nous sommes décidés pour Lévy-Mouiel, l’autre choix nous semblant envisageable étant Quantin-Multon.

Dany -Sur quel (s) critère (s) ?

P. C. - Trois critères fondamentaux : la qualité technique de la paire, son expérience internationale, et sa capacité à s’intégrer harmonieusement à notre équipe.

Dany - La paire Lévy/Mouiel, respectivement 10e et 11e au classement des joueurs français, a t-elle été choisie pour ses performances passées ? Au classement mondial, ils arrivent derrière Chemla 24e joueur mondial, en 31e position pour Mouiel et 34e pour Lévy. Les autres Français étant loin derrière.

P. C. -Pas que pour ses performances passées ! Mieux vaut être « has been » que « never been » a dit quelqu’un, mais Lévy et Mouiel forment une paire en pleine activité qui continue d’obtenir des bons résultats. Curieusement, ils sont en ce moment plus à l’aise à l’étranger qu’en France. Rappelons qu’ils ont gagné il y a deux ans le tournoi sur invitation à Copenhague et terminé seconds de l’épreuve par quatre du Cavendish à Las Vegas. Dans le même Cavendish, qui regroupe toutes les meilleures paires du monde, ils ont jusqu’ici toujours terminé parmi les Français les mieux classés.

Dany - N’aurait-il pas été plus judicieux de prendre les 8 meilleurs joueurs français du moment pour former l’équipe Open ?

P. C. -D’abord il n’en faut que six ! Ensuite, que veut dire « les meilleurs joueurs français du moment » ? Sont-ce ceux qui sont en tête du classement national ? Alors il s’agit de ceux qui ont joué le plus d’épreuves, par exemple mixtes, senior ou junior. Sont-ce ceux qui ont remporté les grands tournois par paires français, de Juan les Pins à la Division Nationale par paires ? Alors on ne peut pas être sûr qu’ils vont renouveler leur performance dans le cadre d’une équipe de quatre. Sont-ce enfin ceux que la rumeur désigne comme les meilleurs ? On n’est pas loin de se jeter dans les bras d’un sélectionneur, ce dont personne ne veut en France…

Dany -Dans ce genre de sélection est-ce que la cohésion de l’équipe, les relations amicales, le feeling… sont aussi importants ou plus importants que les résultats personnels d’un joueur sélectionné ?

P. C. - Je ne pense pas que les relations amicales entre les joueurs soient une condition sine qua non d’un bon résultat dans un championnat. Je crois par contre qu’il faut une bonne estime mutuelle du bridge pratiqué, de façon à assurer une cohésion qui, elle, est indispensable dans un championnat qui dure quinze jours. Les résultats d’un joueur, en revanche, ne sont pas tellement importants. Qu’on le veuille ou non, l’unité, au bridge, c’est la paire.

Dany - Je pense notamment à Catherine d’Ovidio, qui a tout gagné, qui est numéro 1 mondiale chez les femmes, numéro 1 chez les bridgeurs français, devant Chemla.
Comment expliquez-vous qu’elle ne soit pas entrée dans l’équipe open ?


P. C. - J’ai la plus grande amitié et la plus profonde estime pour Catherine, qui est ma partenaire de mixte et qui m’a fait gagner cette année la première édition de la Division Nationale par paires mixtes. Je voudrais cependant modérer un peu votre propos sur le classement. Catherine est en tête des deux classements précités grâce à ses formidables résultats en Dames et en Mixtes (entre autres, deux titres de championne du monde en deux ans, excusez du peu…). Mais, à ma connaissance, elle n’a jamais gagné de grand titre Open. Ni la Division Nationale (qu’elle ne dispute pas) ni le championnat de France par paires, ni l’Interclubs. Non plus d’ailleurs que la Sélection, malgré l’excellent parcours qu’elle y a effectué cette année, associée à une paire réputée moins expérimentée. Au-delà de tout ça, la raison pour laquelle la candidature de Catherine et de sa partenaire Danièle Gaviard n’a pas même été sérieusement évoquée est beaucoup plus simple : elles ont d’ores et déjà leur place en équipe de France Dames, avec, comme il n’est nul besoin de le rappeler, d’excellentes chances d’y obtenir un excellent résultat. Pourquoi décapiter cette équipe alors qu’il était possible de trouver en Open une paire au moins équivalente ?

Dany -Certains Champions se plaignent que la FFB ne s’intéresse pas au bridge de l’élite, ne fait rien pour assurer les meilleurs conditions (psychologiques et matérielles) nécessaires à leur réussite lors des compétitions importantes ou dans la préparation de ces compétitions. Qu’en pensez-vous ?

P. C. - Ne mélangeons pas tout. Les équipes de France, open, dames, senior et même junior, sont parmi les mieux traitées du monde, et c’est la Fédération qui y pourvoit. Les conditions de vie dans les championnats sont en général excellentes, la Fédération prend à sa charge tous les frais afférents aux championnats et, depuis quelques années, verse une prime de victoire à l’issue de la sélection qui s’apparente à une rémunération des internationaux. Il faut savoir que dans un championnat d’Europe, il y peut-être quatre ou cinq pays (sur 36) où les joueurs sont aussi bien traités. Partout ailleurs, les joueurs doivent supporter une part des frais de la compétition, sans même parler d’être payé pour y participer.
Cependant, il n’est pas faux de dire que depuis quelques années une certaine tension s’est instaurée entre les joueurs de l’élite et les dirigeants. Ceux-ci veulent diriger sans trop de concertation, ceux-là ne supportent pas toujours les décisions à l’emporte-pièce et jouent un peu les stars. Sur ces questions plus épidermiques que sérieuses se greffe un problème de fond, qui est la nature exacte de la professionnalisation du bridge. Les joueurs la demandent, les dirigeants la voient d’un mauvais œil. Au demeurant, tout rentre dans l’ordre en cas de succès, comme on l’a vu à Estoril l’automne dernier.



                                                                 Philippe et Bénédicte



Dany - Que gagne en moyenne un joueur qui remporte une compétition internationale de premier ordre ?

P. C. -Il n’y a aucune rémunération offerte par les organisateurs des compétitions internationales. La seule chose que vous recevez quand vous gagnez un titre, c’est une vigoureuse accolade du président. Cependant, la Fédération Française a mis en place un barème de primes en cas de succès dans les grands championnats. Les joueuses championnes du monde ont ainsi touché environ 13.000 euros pour leur titre.

Dany - Ces gains sont-ils suffisants pour motiver les joueurs et leur assurer la tranquillité matérielle nécessaire pour se consacrer exclusivement au Bridge ?

P. C. -Absolument pas. Le titre gagné par les Françaises était le premier de l’histoire du bridge français. 13.000 euros en quarante ans, ça ne paye pas le loyer ! Pour la simple participation en équipe de France, la prime tourne autour de 5.000 euros. Ce n’est pas si mal, mais, si l’on considère cette prime comme une rémunération, il faut la mettre en rapport avec le temps passé en sélection, en entraînements et dans le championnat proprement dit. Soit largement plus d’un mois à temps plein.

Dany -Pensez-vous qu’un jour il pourrait y avoir un bridge professionnel en France ?

P. C. -Je le souhaite, si nous voulons que notre pays reste compétitif dans une discipline où les Américains, les Italiens et de nombreux autres champions anglais, suédois, indonésiens ou polonais sont d’ores et déjà des professionnels à temps plein.

Dany - Quelles conditions faudrait-il pour y arriver ?

P. C. -Une seule solution : trouver de l’argent ! Ou bien la Fédération décide de payer ses meilleurs joueurs mensuellement – elle en aurait éventuellement les moyens, mais n’en a pas la volonté politique, et c’est bien son droit. Ou bien les joueurs sont sponsorisés directement par des firmes – le modèle italien – ou par des individus – le modèle américain. Encore faut-il, et c’est là le point de friction que j’évoquais plus haut, que la Fédération, non seulement ne s’oppose pas comme elle le fait aujourd’hui à de telles solutions, mais les favorise…

Dany -Le Bridge en ligne est un formidable outil pour la pratique de ce jeu et pour la reconnaissance de ses Champions à travers les « vugraph » de BBO.

P. C. - Sans aucun doute…

Dany -Il y a des bruits qui courent sur le fait que la FFB ouvrirait en septembre un BBO français ?
Etes-vous au courant ? Pouvez-vous confirmer ?


P. C. - Oui, un contact a été pris entre la F.F.B. et Fred Gittelman à cette fin.

Dany -Comment se présenterait ce BBO français ?

P. C. -Je ne saurais vous dire : d’une part le sujet, me semble-t-il, est encore en discussion, d’autre part ce n’est franchement pas mon domaine.

Dany -Y êtes-vous favorable ?

P. C. -Je suis très favorable, personnellement, à une implication de la Fédération dans le bridge en ligne, qu’il faut considérer comme un outil de développement et pas comme une concurrence faite aux clubs. J’adore BBO et je serais donc très content d’un accord de la F.F.B. avec ce site. Quant aux modalités exactes, elles me sont un peu indifférentes, même si je n’aime pas trop l’idée d’un accès payant à BBO, quoiqu’il arrive. En revanche, on peut sans doute proposer des services complémentaires qui eux, pourraient être payants.

Dany -Si vous aviez UN livre de bridge à conseiller quel serait-il ?

P. C. - Tout dépend du niveau du lecteur. Pour apprendre le système d’enchères français, pourquoi pas « Le Petit Partenaire » ? (lol). Mais pour aimer le bridge, alors, sans aucun doute, Bridge dans la Ménagerie, de Victor Mollo, le livre le plus drôle, et le plus malin, jamais écrit sur notre jeu.

Dany -Quel est celui qui vous a le plus fasciné ?

P. C. -« Adventures in card play », de Geza Ottlick et Hugh Kelsey. Quand je l’ai lu, ça a été un éblouissement. Mais c’est vraiment un livre difficile.

Dany -Quel est celui qui vous a le plus aidé quand vous avez débuté ?

P. C. - « Le Bridge simple et moderne » de Jaïs et Lahana (c’était avant la majeure 5ème !) C’est le livre dans lequel j’ai appris à enchérir.

Dany -Quel est celui que vous consultez le plus régulièrement ?

P. C. - Pour tout vous dire, je possède à mon avis l’une des bibliothèques de bridge les plus importantes de France. Aujourd’hui, elle doit comporter un peu plus de mille ouvrages… Quand je veux me détendre, ou me remettre la tête au bridge, je lis un livre de jeu de la carte en anglais (Kelsey, Reese, etc.) Sinon, je jette souvent un coup d’œil au Dictionnaire des maniements de couleur, de Jean-Marc Roudinesco, pour voir si je me suis trompé…

Dany - Quel est votre meilleur souvenir lié au Bridge ?

P. C. - Le bridge m’a fourni énormément de bons souvenirs. Mais le meilleur aujourd’hui (parce que c’est l’un des plus récents, peut-être) c’est la victoire de Bénédicte à Estoril. Ce titre, que les Françaises attendaient depuis tant d’années, qui leur avait échappé de façon invraisemblable à Paris en 2001, m’a procuré une émotion et une joie extraordinaires. Je crois que j’ai été plus heureux qu’elle !

Dany -Le pire ?

P. C. -Ça, c’est facile. Brighton, 1987. Je joue en équipe de France avec Michel Lebel, nous sommes associés à Chemla-Perron et Abécassis-Soulet, et nous faisons partie des favoris pour le titre. Pour ma part, j’estime que c’est l’équipe la plus forte dans laquelle j’ai jamais joué. Et là-dessus, Chemla et Abécassis se fâchent, il y a des scènes tout le championnat et, à l’arrivée, nous terminons septièmes, ce qui constituait à l’époque le plus mauvais classement jamais obtenu par une équipe de France. Quinze jours d’enfer. En rentrant, je me suis dit « C’est fini pour moi, ça ne m’intéresse pas, leurs c… ». Et j’ai décidé d’arrêter la très haute compétition, et de jouer sponsorisé pendant dix ans !

Dany -Quelle (s) qualité (s) vous semble essentielle (s) chez un partenaire ?

P. C. - La solidarité au sein de la paire et la lucidité.

Dany - Quel (s) défaut (s) détestez-vous le plus ?

P. C. - La mauvaise foi

Dany - LE joueur qui vous fascine le plus ?

P. C. - Michel Perron

Dany - LA joueuse qui vous fascine le plus ?

P. C. - Ma femme, évidemment !


                                                              Bénédicte et Philippe


Dany - Je vous remercie infiniment au nom de tous les passionnés de Bridge en général et des GogosBridgeurs en particulier, pour avoir bien voulu répondre à ces questions qui permettent de mieux vous connaitre.
Nous vous souhaitons le plus grand succès en équipe Open




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